Une croyance répandue à propos de la prise de décision est la recherche d’objectivité. Les décisions doivent se prendre objectivement et non subjectivement. Chacun doit être « professionnel » dans son rôle. Derrière le terme professionnel, il faut souvent comprendre : en laissant de côté ses émotions .
Cependant, que nous le voulions ou non, nous sommes en permanence traversés et mus par nos émotions. Ce qui pourrait ressembler à un « handicap » dans la prise de décision objective, est en fait une grande ressource.
De nombreux travaux de recherche démontrent que le processus de réflexion intègre le processus émotionnel. Dis autrement, nos émotions font pleinement partie de notre processus de réflexion et de décision. Si nous avons parfois l’impression du contraire, d’être parfaitement objectif (c-à.d sans que notre raison soit obscurci par nos émotions), c’est que les émotions du moment échappent à notre conscience. Mais elles sont bien présentes.
Le neurologue Antonio Damasio ouvrit la voie en 1994 dans L’erreur de Descartes, ouvrage de référence devenu un classique par l’un des plus grands spécialistes mondiaux du cerveau. Il explique et démontre par les mécanismes physiologiques qu’être rationnel, ce n’est donc pas se couper de ses émotions, c’est même plutôt le contraire. Dans la lignée des travaux de Damasio, Daniel Goleman popularisa l’approche en 1995 avec une formule qui ressemblait alors à un oxymore : « L’Intelligence émotionnelle », redonnant ainsi une légitimité et une place aux émotions au travail. Vingt ans plus tard, l’intelligence émotionnelle est souvent identifiée à un talent de Leadership.
De ce constat découle une approche de la coopération où les émotions sont prises en compte de façon constructive. Elles existent, font partie de nous, et sont la source de notre énergie. Inutile donc d’essayer de lutter contre, mais plutôt comment mettre en place des modes de travail pour avancer avec le ressenti de chacun ? De façon surprenante, lorsque l’on expérimente cette façon de travailler ensemble, la créativité, l’innovation, le plaisir, la motivation, l’efficience sont accrus. Je dis de façon surprenante, car cette expérience est en contradiction avec un certain sens commun : « si on prend en compte les ressentis de chacun, on ne va jamais s’en sortir ! ».
Cependant certaines émotions sont catégorisées comme « négatives » comme le découragement ou la colère. Or, les émotions sont contagieuses et l’on voit mal en quoi exprimer son découragement pourrait être constructif et devenir une ressource positive pour le groupe. D’où la pratique répandue de bannir les « émotions négatives » pour éviter de plomber le groupe. Mais si certaines émotions sont moins agréables que d’autres, toutes sont positives car elles sont l’expression de notre vitalité.
En Coopération dynamique, l’intelligence émotionnelle est intégrée au cœur des processus de travail. Dis autrement, la coopération dynamique génère de l’intelligence émotionnelle collective, plutôt que de la restreindre à un talent (réel) de certaines personnes.
D’une certaine façon, cette vision est aussi présente dans Les 6 chapeaux de la réflexion d’Edward De Bono. Dans cette démarche, De Bono propose un processus collectif qui permet d’étudier une situation sous 6 angles différents, dont l’angle émotionnel (le chapeau rouge).
En coopération dynamique, le ressentit de chacun face à une décision est intégré et considéré comme moteur. Un « frein » à une décision n’est jamais qu’un moteur dans une autre direction. Si cette direction est identifiée, et intégrée dans la décision, alors l’énergie de la personne, plutôt que d’être investit dans « le freinage » s’investit dans la dynamique de mise en œuvre de la décision.
Au delà de la prise de décision, les émotions sont aussi au cœur d’une autre dimension essentielle de la coopération : l’interaction sociale…mais ceci est une autre histoire dont je vous parlerai dans un prochain billet.
Laurent Stoffel