Le changement est permanent, nous le vivons au quotidien sans même nous en rendre compte. Les arbres poussent, nos cellules se régénèrent, les enfants grandissent, les saisons se succèdent… la vie est changement.
Le terme changement est un concept, une abstraction pour parler d’une réalité quotidienne de la vie qui nous échappe dans sa subtilité : le mouvement.
Le mouvement permanent du monde au delà de nous, autour de nous, et aussi le mouvement incessant en nous : 100 000 milliards de cellules composent notre corps. Elles sont en régénération constante : certaines en quelques heures, d’autres en plusieurs années. Notre corps se renouvelle donc entièrement à l’échelle d’une dizaine d’années. Notre conscience est elle aussi un mouvement permanent : ce qui nous apparaît à un instant donné fluctue en permanence, spontanément ou en réaction à l’environnement. Dès qu’on essaie de définir le changement de façon précise, l’exercice devient délicat. On se retrouve alors à catégoriser les types de changement, ou les phases du changement. On se retrouve alors à parler de la trajectoire en la confondant avec le mouvement.
Ce sont pourtant deux choses bien distinctes dans leur nature, dans leur qualité. Mais comme parler du mouvement est difficile, et parler de la trajectoire est plus commode, la confusion s’installe. En physique on parle d’équations du mouvement, le terme juste serait plutôt équations de la trajectoire. Confusion entretenue par nos tentatives de saisir de façon « concrète » (c.a.d à l’aide de notre intellect) la qualité subtile, qui s’appréhende par la sensation et l’intuition.
Notre monde d’aujourd’hui est façonné majoritairement par et pour des logiques quantitatives. L’influence d’une certaine forme de « pensée scientifique » est importante, insufflant une vision dominante où seul ce qui se mesure de façon objective, reproductible, prend le caractère de réalité tangible. Dans cette logique, la perception de la qualité est impossible. Impossible car la vie ne se répète pas. Revoir deux fois le même film, n’est pas revivre la même chose. (que le film fût apprécié ou pas !). Le raisonnement scientifique du reproductible mesurable (quantitatif) ne se prête pas à l’expérience humaine (qualitatif). La confusion entre les deux est permanente : les entreprises, les scientifiques, les consultants déploient beaucoup d’énergie à quantifier/catégoriser le qualitatif : la satisfaction client, la qualité sociale, le bonheur, la motivation…Dis autrement, à mesurer ce qui par essence n’est pas mesurable. La confusion est telle, et l’énergie investit dans ce champ si importante, qu’il semble même difficile de questionner l’approche.
Le monde du travail évacue bien souvent le sensible, le qualitatif subtil et changeant, pour se concentrer sur le quantitatif qui donne un sentiment de maîtrise et de contrôle. Regarder la trajectoire pour sentir le mouvement. Parler en quantité pour appréhender la qualité, et entretenir l’illusion que l’ont peut appréhender l’un par l’autre. Mesurer la taille des branches et du tronc pour appréhender la photosynthèse.
Il y a plus d’un siècle, Henri Bergson apportait cette réflexion, nouvelle pour l’époque. Contestée ou acceptée, son travail devint dès sa parution un événement. «Quand une traduction illégitime de la qualité en quantité a installé la contradiction au cœur même de la question posée, est-il étonnant que la contradiction se retrouve dans les solutions qu’on en donne ? » Ce propos de Bergson me semble si actuel aujourd’hui : on dépense des millions dans des enquêtes de satisfaction client / salariés sans en percevoir ni l’incohérence ni la stérilité.
Pour notre concept de changement, je vais essayer d’éviter cette confusion en installant une image : le changement est mouvement. Il n’est pas trajectoire. Confondre les deux serait confondre ce qui se déroule dans l’espace (la trajectoire) avec ce qui se déroule dans la durée (le mouvement).
Le changement peut donc s’appréhender comme une évolution dans la durée de la qualité des choses. Un arbre qui pousse ne devient pas seulement plus feuillu et plus robuste. Un enfant qui grandit ne devient pas juste un enfant plus grand, plus fort, plus intelligent, moins impulsif…il devient autre chose. Il évolue.
Je ne me souviens pas avoir résisté à grandir. Et regarder un enfant nous permet de nous rendre compte de l’aspiration profonde de l’être humain à grandir, à changer. Et pourtant la croyance est répandue que l’être humain est résistant au changement.
Le terme « résistance au changement » remonte aux auteurs Coch et French, qui en 1947, publiaient un article dans la revue Human Relations, sous le titre «Overcoming resistance to change ». Nous serions donc résistant au mouvement de la vie ? Je ne crois pas. Pourtant beaucoup d’encre et d’argent ont été investit derrière ce terme depuis 70 ans, alors de quoi la « résistance au changement » est-elle le nom ?
retrouvez la suite de cet article sur notre blog début mars.
Laurent Stoffel
* : envisagée un moment sous le titre « Qualité et Quantité », la thèse de Bergson fut publiée en 1889 sous le titre « Essai sur les données immédiates de la conscience ».